Nouvelles données sur la principale cause de démence chez les personnes recevant un diagnostic avant l’âge de 65 ans

 « Dans le cas des maladies neurodégénératives, la génétique est maintenant largement utilisée lors de l’établissement d’un diagnostic, lors du suivi des patients ainsi que dans le cadre de la recherche d’un traitement potentiel. En identifiant les porteurs de mutations responsables de ces maladies on pourrait mieux évaluer l’efficacité de traitements utilisés dans le cadre d’essais cliniques effectués pendant les  stades présymptomatiques ou précoces de ces maladies. Détecter les modificateurs génétiques des maladies neurodégénératives, incluant la dégénérescence lobaire frontotemporale, pourrait rendre plus précises les prédictions des risques de développer une maladie neurodégénérative, et de l’âge d’apparition chez les porteurs de mutations asymptomatiques. Ces notions importantes permettraient de fournir de bons conseils aux familles des personnes touchées par la maladie et d’informer le développement d’essais cliniques axés sur l’intervention précoce. »

– Dre Ekaterina Rogeava

La dégénérescence lobaire frontotemporale (DLFT), une des principales causes de démence chez les personnes qui reçoivent un diagnostic avant l’âge de 65 ans, est caractérisée par un déclin progressif du comportement et du langage qui découle de la dégénérescence des lobes frontal et antérieur du cerveau. Regroupant plusieurs types de troubles, la DLFT a de nombreuses manifestations cliniques et pathologiques en commun avec la paralysie supranucléaire progressive, la dégénérescence corticobasale et la sclérose latérale amyotrophique. En termes simples, la DLFT implique des facteurs génétiques, comme des mutations dans plusieurs gènes.

Pour le moment, il n’existe aucun traitement contre la DLFT.

Afin de mieux comprendre les fondements génétiques de la DLFT et de ses facteurs de risque, un groupe de chercheurs – financé en partie par le Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement – a collaboré afin de mener une étude d’association pangénomique (« genome-wide association study – GWAS »). De façon générale, ce type d’étude a joué un rôle prépondérant dans la compréhension de troubles neurodégénératifs complexes. Par exemple, la plus vaste étude GWAS ayant porté sur la maladie d’Alzheimer a permis de déceler des voies de signalisation clés impliquées dans la pathogenèse de cette maladie, dont certaines liées à l’inflammation et à la réponse immunitaire, au métabolisme des lipides et à l’endocytose.

Cette étude, intitulée Potential genetic modifiers of disease risk and age at onset in patients with frontotemporal lobar degeneration and GRN mutations: a genome-wide association study (Modificateurs génétiques potentiels du risque de dégénérescence lobaire frontotemporale et de l’âge d’apparition de la maladie chez les patients présentant des mutations du gène GRN : une étude d’association pangénomique), dirigée par Rosa Rademakers et récemment publiée dans Lancet Neurology, ouvre la voie vers « de nouvelles avenues de recherche sur les biomarqueurs et de nouvelles approches thérapeutiques contre la DLFT ».

Jusqu’à maintenant, les biomarqueurs (des facteurs mesurables associés à la maladie, p. ex., le niveau de certaines protéines) qu’il était possible d’utiliser dans le cas de la DLFT étaient peu nombreux. Pendant longtemps, la protéine tau a été la seule à être reconnue comme intervenant dans l’apparition de cette maladie neurodégénérative et, conséquemment, les biomarqueurs conçus ont porté presque exclusivement sur cette protéine. Il est récemment devenu apparent que les mutations entraînant une perte de fonction du gène GRN  et de la protéine qui y est associée jouent un rôle important dans l’apparition de la DLFT. L’étude dirigée par Rosa Rademakers a donc été menée auprès de patients porteurs de mutations du gène GRN, ce qui représentent jusqu’à 20 % des cas de DLFT familiale.

Plus précisément, le gène GRN posséde le code pour la fabrication de la granuline, une protéine trouvée dans nombre de tissus de l’organisme humain. Cette protéine est très active dans les cellules qui se divisent rapidement, comme celles de la peau et de la paroi du tube digestif. Elle est responsable de la régulation de la réponse immunitaire ainsi que de la croissance, de la division et de la survie de ces cellules, en plus de la guérison des plaies.

Les données utilisées par les chercheurs, qui proviennent de 40 cliniques de divers pays, indiquent que les personnes atteintes de DLFT (et qui sont également porteuses d’une mutation du gène GRN) courent un risque soit plus élevé, soit plus faible de présenter des symptômes de la maladie. Ce qui modifie ce risque est la présence (ou l’absence) de variations précises du gène TMEM106B.

« Nous avons été en mesure d’estimer que les porteurs d’un gène GRN muté et de l’haplotype protecteur du gène TMEM106B ont deux fois moins de risque de présenter les symptômes de la maladie que ceux qui ne présentent pas l’haplotype protecteur. Nous avons également déterminé que la région du chromosome 8 où se trouve le gène GFRA2, appelée 8p21.3, pourrait modifier de façon importante le risque de DLFT chez les patients chez qui le gène GRN est muté. La principale variante du gène GFRA2 (rs36196656), située dans l’intron 3, perturbe l’expression du gène. Des études fonctionnelles ont montré que la progranuline se lie au récepteur GFRA2 in vitro. »

Ces notions ont des conséquences tant sur le diagnostic que sur le traitement de la maladie puisque ceux-ci dépendent du ciblage de mécanismes pathologiques particuliers de la DLFT. Les variations génétiques pourraient également « éclairer davantage les conseils fournis aux familles sur les questions liées à la génétique et aider à la conception d’essais cliniques dans le futur ».

Selon la Dre Ekaterina Rogeava, « il est essentiel de mieux comprendre les mécanismes fonctionnels de la voie GRN-GFRA2-TMEM106B pour concevoir des biomarqueurs ou des médicaments permettant de modifier le risque de maladies entraînées par des mutations du gène GRN. Il serait important d’évaluer si les résultats relevant de la génétique moléculaire publiés dans cet article concernent également d’autres maladies neurodégénératives. Nous n’en sommes qu’aux premières étapes de l’élaboration d’une méthode de médecine personnalisée qui cible les caractéristiques cliniques et biologiques complexes de ces maladies et accumulons les données factuelles qui sont nécessaires pour guider de façon plus efficace la pratique clinique. »

Ekaterina Rogaeva, Ph. D.

Professeure (Département de médecine, Université de Toronto, Tanz Centre for Research in neurodegenerative Diseases)

Chaire de recherche sur la démence à corps de Lewy, Tanz Centre for Research in neurodegenerative Diseases

Krembil Discovery Tower Tanz Centre for Research in Neurodegenerative Disease

Tél. : 416-507-6872

Courriel : ekaterina.rogaeva@utoronto.ca

Les points de vue et les opinions exprimés par les blogueurs invités sont ceux des auteurs (chercheurs du CCNV) et ne reflètent pas nécessairement le point de vue du Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement et de ses organismes partenaires.

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